A fragmented and largely retrospective description of a daughter's relationship with her father, La Place deals with issues of sexuality, social sta nding and alienation. This will be an accessible and exciting addition to French studies courses.
maintenir. Le quartier s’est prolétarisé. À la place des cadres moyens partis habiter les immeubles neufs avec salle de bains, des gens à petit budget, jeunes ménages ouvriers, familles nombreuses en attente d’une H.L.M. « Vous paierez demain, on est gens de revue. » Les petits vieux étaient morts, les suivants n’avaient plus la permission de rentrer saouls, mais une clientèle moins gaie, plus rapide et payante de buveurs occasionnels leur avait succédé. L’impression de tenir maintenant un débit
feignant toujours de ne rien désirer, « je vais manger une demi-tranche de jambon », « donnez-m’en un demi-verre », continuellement. Des manies, maintenant, comme défaire le papier des gauloises, mauvais au goût, et les renrouler dans du Zig-Zag avec précaution. Le dimanche, ils faisaient un tour en voiture pour ne pas s’encroûter, le long de la Seine, là où il avait travaillé autrefois, sur les jetées de Dieppe ou de Fécamp. Mains le long du corps, fermées, tournées vers l’extérieur, parfois
qu’il fera beau. Bientôt je n’aurai plus rien à écrire. Je voudrais retarder les dernières pages, qu’elles soient toujours devant moi. Mais il n’est même plus possible de revenir trop loin en arrière, de retoucher pu d’ajouter des faits, ni même de me demander où était le bonheur. Je vais prendre un train matinal et je n’arriverai que dans la soirée, comme d’habitude. Cette fois je leur amène leur petit-fils de deux ans et demi. Ma mère attendait à la barrière de sortie, sa jaquette de tailleur
épaules tombantes, les bras légèrement arrondis. L’air mécontent, d’être surpris par l’objectif, peut-être, avant d’avoir pris la position. Il a quarante ans. Rien dans l’image pour rendre compte du malheur passé, ou de l’espérance. Juste les signes clairs du temps, un peu de ventre, les cheveux noirs qui se dégarnissent aux tempes, ceux, plus discrets, de la condition sociale, ces bras décollés du corps, les cabinets et la buanderie qu’un œil petit-bourgeois n’aurait pas choisis comme fond pour
foncé, veste claire sur une chemise et une cravate. Photo prise un dimanche, en semaine, il était en bleus. De toute façon, on prenait les photos le dimanche, plus de temps, et l’on était mieux habillé. Je figure à côté de lui, en robe à volants, les deux bras tendus sur le guidon de mon premier vélo, un pied à terre. Il a une main ballante, l’autre à sa ceinture. En fond, la porte ouverte du café, les fleurs sur le bord de la fenêtre, au-dessus de celle-ci la plaque de licence des débits de